lundi 30 juillet 2012

Chris Marker est mort



Chris Marker ou le regard d’un cinéaste sur un XXe siècle de luttes politiques et sociales 

Dans Le fond de l’air est rouge, Marker embrasse son époque, la regarde, la scrute et rassemble, dans un montage d’images lumineux, les symptômes d’une révolution culturelle en pleine effervescence. Les images d’archives prennent du relief et du sens. De la guerre du Vietnam et des bombardements américains aux Black Panthers exhortant une foule à lire le Petit Livre rouge, de la Bolivie sous la dictature militaire du général Barrientos aux luttes armées latinoaméricaines… Voilà pour le contexte international. Côté français, la nouvelle gauche émerge. Après les manifestations étudiantes et les grèves des ouvriers, Marker tourne sa caméra vers l’ère post-68. L’exacerbation des tensions au sein des gauches en France laisse le cinéaste perplexe : « Une action n’était jamais jugée selon l’écho qu’elle rencontrait parmi les travailleurs, mais selon l’étiquette de ceux qui la lançait. Si les gauchistes en étaient à l’origine, c’était une provocation ; la CFDT, une aventure ; la CGT, une capitulation. Il y avait un répertoire de mots imbéciles, “gauchos”, “révisos”, pour noyer la complexité des conflits dans une espèce de système binaire où chacun ne se définissait plus par rapport à la lutte de classe mais à la guerre des organisations (…). Comme s’il fallait attendre le jour où on se retrouverait côte à côte sur les banquettes d’un stade bouclé par des militaires pour s’apercevoir qu’on avait quand même quelque chose à se dire… » Sans concession.

La prise de distance est saine. Analyste exigeant, Marker murmure une mise en abîme de l’événement à la lueur de tout ce qui suivra, le triomphe du capitalisme en tête. En 1970, on voit le guérillero Douglas Bravo, retranché dans les montagnes vénézuéliennes, énumérer les ratés de la révolution. Au même moment, Debray, qui venait d’écrire la Révolution dans la révolution, est libéré de sa prison bolivienne et se rend là où la démocratie est en train de reprendre pied, au Chili, avec l’unité populaire d’Allende. Puis, en 1973, le coup d’État de Pinochet fait s’écrouler tout espoir. La même année, en France, une expérience d’autogestion voit le jour : les LIP. Là encore, Chris Marker est de la partie avec Puisqu’on vous dit que c’est possible. Marker se charge du montage des images amassées par la coopérative Scopitone de Roger Louis pour retracer l’histoire de la reprise en main par ses ouvriers de l’usine de montres.

On retrouve aussi un des premiers films de Chris Marker et Mario Marret sur les grèves ouvrières : À bientôt j’espère. Réalisé en 1967 dans l’usine Rhodiaceta en grève à Besançon, le film montre les discussions, les prises de conscience collectives et la mise en place de revendications de fond, préfigurant les événements de 68. Film visionnaire et expérimental : 2084 se livre à un examen des scénarios possibles de deux siècles de syndicalisme. Des films essentiels car ils concentrent une mémoire vive, histoire des luttes, qu’il ne faudrait jamais cesser de transmettre et de faire connaître aux jeunes générations.
Ixchel Delaporte
L'Humanité 

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